La bourse ou la vie
S’il y a bien quelque chose qui m’a toujours dérangé dans le domaine du soin, c’est que le vecteur de profit majeur est la maladie et non la santé. Si vous pensez que tous les professionnels du soin ou de la santé ont le bien-être en motivation première, vous pourrez être fortement déçus. Même l’économie d’un pays se porte mieux lorsqu’il y a beaucoup de malades ! Il en est bien sûr de même pour chaque thérapeute: plus il y aura de malades, plus il fera de consultations et plus il sera rémunéré. Il y a donc un conflit d’intérêt flagrant au sein même de la profession: la motivation de soigner (et donc de ne plus revoir le patient) est en conflit avec la motivation financière.
Remboursé ou pas, des différences ?
Les thérapies remboursées sont un avantage financier inestimable pour le patient car il leur permet d’accéder aux thérapies, quelles qu’en soient le coût financier (et heureusement). Pour le thérapeute, il est assuré d’avoir du travail. Ce système possède pourtant un problème de taille qui sont les abus de la part des fournisseurs de thérapies: une augmentation du prix d’un médicament par exemple, augmente fortement la charge sur la population sans que les individus ne s’en rendent compte directement car c’est l’administration collective qui paie pour eux.
Les thérapies non-remboursées ont une donne différente mais pas forcément meilleure. Le patient étant le payeur, il souhaite avoir le maximum de retour pour son argent. C’est d’ailleurs souvent la raison pour laquelle on se rend « dans le privé » (passage prioritaire, demande personnalisée, …). La marge de manoeuvre en termes de prix thérapeutique est plus limitée, une augmentation étant directement répercutée sur le patient. Mais le danger majeur provient du fait que le thérapeute n’a pas la garantie d’avoir toujours des patients, il sera alors poussé vers la prudence en matière de revenus. Entendez par là, la maximisation des revenus pour prévenir les périodes de faibles revenus. Cela peut entraîner des effets néfastes comme l’utilisation de produits les moins chers pour augmenter sa marge économique ou encore proposer des produits annexes ou augmenter le nombre de consultations. Il est en effet bien plus facile de faire revenir un patient que d’en obtenir de nouveaux.
Finalement, dans les deux cas, le thérapeute doit faire en sorte que l’expérience du patient soit la meilleure possible pour maximiser ses revenus. Nous n’avons jamais abordé la question de l’efficacité thérapeutique dans tout ça car elle n’arrive qu’en second plan. On peut donc se rendre compte que le succès professionnel d’un thérapeute dépendra probablement plus de son relationnel que de son efficacité thérapeutique… Quelque peu paradoxal lorsqu’on sait que la principale chose attendue par les patients est d’être bien soignés (c’est à dire soulagés et guéris de façon rapide et efficace).
Et justement, quid de l’efficacité thérapeutique ?
Il est évident pour tout le monde qu’il est impossible d’exiger un résultat précis dans le domaine de la santé (personne ne peut prétendre soigner parfaitement tout le monde et de façon certaine). Cette idée est connue sous le principe de « l’obligation de moyens et non de résultats ». Mais ce principe possède une conséquence néfaste: il rend implicitement le patient responsable du résultat. D’après ce principe il a bénéficié du meilleur, le reste est donc de son ressort. Encore faut-il que le patient ait réellement bénéficié du meilleur et du plus adapté a sa situation.
Dans le cadre de ma pratique en ostéopathie, je me rends compte que cette logique manque d’une partie essentielle: pour faire bénéficier au patient de la solution la plus adaptée, encore faut-il être au courant de toutes les possibilités. Car il existe des solutions thérapeutiques simples qui ne sont pas connues du corps médical, et cela au détriment des patients. Pourquoi effectuer une chirurgie risquée au pronostic très incertain lorsqu’une technique manuelle simple permet un soulagement durable ? Surtout que la technique manuelle peut être essayée sans risque et il est toujours temps de faire une chirurgie si les solutions simples ont échoué.
Pour en revenir à l’efficacité, il est étrange de constater qu’il n’existe aucun mécanisme pour inciter les thérapeutes à traiter de façon efficace, c’est à dire traiter de façon définitive et rapide les problèmes du patient. Le système repose entièrement sur le postulat que le thérapeute sera de bonne foi et qu’il tentera de faire de son mieux. À mon sens, il existe à ce niveau un déséquilibre néfaste entre le patient et le thérapeute car le patient a rarement son mot à dire.
Il me semble qu’ajouter une incitation financière aux thérapeutes pour traiter définitivement et rapidement chaque patient diminuerait les prescriptions « chroniques » de soins qui sont bien plus lucratives. Il arrive que certaines personnes passent beaucoup de temps en thérapies diverse et variées pour en obtenir peu voire aucun résultat. Cette situation favorise aussi l’existence de traitements à vie (dits « chroniques ») car cela reste plus profitable pour tous les professionnels de la santé. Cette situation traduit bien le conflit d’intérêt et le déséquilibre qui existent au sein du système de santé.
Quelles solutions ?
Prenons le principe de l’assurance maladie sous un autre angle qui favorise le maintient en bonne santé. Disons que le thérapeute est rémunéré tant que son patient est en bonne santé. Finalement, ce serait le principe d’une assurance comme une autre. L’assurance qui couvre votre maison a tout intérêt à ce qu’il n’arrive aucun accident pour être profitable. Appliqué à la santé, si jamais le patient venait à tomber malade, le thérapeute ne serait pas payé jusqu’à ce qu’il guérisse le patient. Ainsi, le thérapeute serait fortement incité à traiter de façon rapide et définitive son patient. Bien entendu, ce principe à sûrement ses propres failles mais il a l’avantage de nous faire réfléchir de façon différente au sujet de la rémunération dans la santé. La motivation financière va dans le sens de la santé et non de la maladie. Mais cette solution reste une idée qui a peu de chances d’être mise en place.
À mon échelle, dans ma pratique ostéopathique, j’expérimente de nouvelles formes de rémunération pour les thérapeutes. Par exemple, depuis juin 2014 j’expérimente avec le tarif libre. C’est à dire que c’est au patient de choisir le montant de ma rémunération. Si cela peut sembler risqué et utopique, il en ressort de nombreux points positifs:
- cela permet de m’adapter aux moyens économiques de chaque patient. Un patient plus aisé compensera pour un patient plus pauvre. Avant tout, je souhaite permettre l’accès à mes services pour tous les revenus, l’ostéopathie étant non-remboursée par la sécurité sociale.
- impliquer le patient dans le paiement l’implique plus dans sa propre thérapie et le rend plus attentif au coût des soins. Certains thérapeutes incluent même le rituel du paiement dans leurs consultations (principalement en psychothérapie).
- cela m’incite à être efficace car le patient aura besoin de moins de consultations pour un problème donné et bénéficiera donc d’un meilleur rapport efficacité/prix.
- cela donne un retour sur la consultation du point de vue du patient. Un patient mécontent paiera généralement moins qu’un patient satisfait. Il permet au thérapeute de ne jamais « s’endormir sur ses lauriers ».
- cela permet de voir quelle valeur les patients accordent à mon travail, à mettre en proportion avec leurs moyens bien entendu.
- cela sert de « prévention » pour le thérapeute en l’obligeant à désolidariser son action thérapeutique de sa rémunération financière. Le but étant d’éviter d’avoir pour seule source de réussite la recette économique en fin de mois.
Depuis quelques années, de nombreux domaines sont en réflexion sur la valeur du travail et de la rémunération: automatisation de plus en plus poussée de nombreuses tâches entraînant une hausse du chômage, contenus numériques ayant un coût de distribution et de fonctionnement proche de zéro, … Cette approche me permet de participer à cette réflexion et de faire une expérience à mon échelle.
Je n’ai pour l’instant pas remarqué d’effets négatifs depuis que j’applique le tarif libre. J’espère publier un compte rendu des « résultats » après avoir obtenu suffisamment de statistiques. De nombreux collègues attendent d’avoir établi leur carrière de thérapeute avant de tenter une expérience aussi audacieuses. J’ai la chance de pouvoir expérimenter dès maintenant, il y a peu à perdre et tant à découvrir !
Commentaires
4 commentaires
Intéressant comme point de vue, par contre pour moi il y a d’autres barrières a ce système : 1/ cela implique aussi le caractère de chacun : niveau argent, certains seront naturellement plus généreux/économe/voir radin, donc pour 10 personnes satisfaites de la même prestation elle ne donneront finalement pas la même chose. 2/ Dans ton tarif libre, quand demandes-tu le paiement ? Car si le paiement se fait directement en fin de consultation, je trouve difficile pour le patient de juger totalement de l’efficacité de la consultation étant donné que le gros des effets se fait dans les jours suivants. 3/ Enfin je pense que le système de l’assurance maladie basée sur la santé ne pourrait jamais fonctionner : nous n’avons pas tous les même prédispositions face à la maladie, ajoutant les antécédents et les facteurs environnementaux. Donc le thérapeutes voulant vraiment se faire du fric trouvera toujours un système pour ne pas avoir ce type de personne dans sa patientèle (par exemple installation des médecins dans les zones riches et encore plus de non installation dans les zones rurales).
Merci pour ton retour Natacha. Pour répondre à tes remarques, pour le 1/ c’est vrai, je n’ai pas grand chose à y ajouter. J’attends de voir si on peut en déduire quoi que ce soit. Concernant le 2/, je demande en général en fin de consultation, ou à la consultation suivante suivant le cas. C’est un challenge supplémentaire que je m’impose en effet, j’essaie d’obtenir le maximum d’effets mesurables entre le début et la fin de la consultation. 3/ C’est vrai, un thérapeutes souhaitant faire de l’argent trouvera toujours un moyen pour en faire plus facilement, mais je ne penses pas que cela est un argument suffisant pour rendre un tel système impossible. Tout dépend des motivations/récompenses que propose un tel système. Car même avec notre système actuel de soins, ces problèmes existent, et les organismes gouvernementaux tentent de retourner la tendance en favorisant ou subventionnant ceux qui font une installation dans des « zones plus difficiles ». On pourrait imaginer un système favorisant la surface couverte et le revenu moyen en plus du nombre de patients pour rééquilibrer en fonction de la densité de population ou du revenu. Je trouve surtout qu’il y a beaucoup d’options à explorer et bien peu de réflexions à ce sujet.
Alors pour reprendre ici les commentaires de fb:
Le tarif libre est altruiste de ta part, mais irréalisable à grande échelle, un revenu plus ou moins fixe est nécessaire à qui a une famille à nourrir, des crédits au c*l… 99% de la population quoi ^^ . Mais tu as bien raison de profiter et d’expérimenter.
Méfie toi tout de même, outre les « radins » dont parle justement Natacha, tu t’exposes aussi aux dépendants. La petite mamie qui se rend compte que pour 15€/semaine elle peut venir te voir et avoir de l’attention ne manquera pas d’en profiter. Ce qui n’est pas un mal, mais on se rapproche plus du social que du thérapeutique.
Pour moi c’est aussi lié à un passage de ton article: «il rend implicitement le patient responsable du résultat.»
C’est loin d’être néfaste de mon point de vue. Les gens se déresponsabilisent de leur santé, un certains nombre débarque au cabinet (ou chez n’importe quel thérapeute) en mode « j’ai mal, faites quelque-chose, et si vous n’y arrivez pas vous serez un branque, j’irais en voir un autre, tout en restant 8h par jour sur mon canapé à m’enfiler 3L de coca entre 2 Mc Do et 3 Ben & Jerries »
Mode de pensée fléau. Et à grande échelle qui plus est, j’ai pas de chiffre a donner mais à mon avis si tu fais le rapport des fonds investis dans la lutte contre le cancer/ les maladies dégénératives/ etc etc et les fonds investis dans la prévention des mêmes choses… tu pleures.
@Natacha: le système d’assurance santé est pas du tout impossible, c’est le mode de fonctionnement asiatique (cf la video que tout le monde a vu tiré d’un film). Difficilement applicable en Europe face aux mentalités et lobby certes, mais pas impossible, c’est un autre débat 🙂
C’est aussi ce qu’on se tue à dire à nos patients, venez 1/2 fois dans l’année pour passer un contrôle technique, outre les traumatismes vous devriez pas avoir besoin plus que ça de mes services, et on reste dans les créneaux de votre mutuelle.
Vous faites le parallèle satisfaction du patient // honoraires perçu avec ce mode. Sauf que le patient est absolument pas en position de juger l’efficacité du traitement. La quasi totalité viennent pour des douleurs, et l’on apporte une restauration de mobilité. L’amalgame peut être vite fait par l’un comme par l’autre.
On est pas là pour traiter sa douleur mais pour lui rendre sa mobilité, la douleur devant aidé à focus la cause, et à l’homéostasie de faire le reste.
Je reprend mon exemple, une personne vient te voir 4 fois en 6 semaines. D’une foi sur l’autre, les tests de mobilités que tu fais sont de mieux en mieux, sans aucune incidence sur la douleur. A la 4ème tu fais quelque chose de très simple, et tout disparaît. Dans la tête du patient ya que la 4ème foi que t’as fais quelque-chose, ce qui est faux.
Tout comme en radio aucune proportionnalité n’est obligatoire entre un cliché et une symptomatologie, aucune proportionnalité n’est obligatoire entre la courbe de regain de mobilité et celle de l’évolution de la douleur.
On peu pas non plus ignorer l’interdisciplinarité. Je doute que les rares personnes qui viennent faire un bilan avant de refaire faire leur semelles ressentent une si grande différence entre avant et après traitement. Ils ont ont pourtant tellement raison de le faire et se retrouvent avec des semelles tellement plus adaptées.
Idem pré/post dentiste pour les appareils, orthoptistes/lunettes , chirurgien/canal carpiens, psy/deuil.
C’est une allégorie discutable mais que je fais souvent au cab: les gens se posent pas la question du contrôle technique pour leur bagnole (obligatoire certes), mais alors pour leur corps…
Ca commence à faire long je reviendrais dans le débat plus tard :p
D’excellentes remarques François-Xavier ! Il est vrai que cette façon de faire est un vrai luxe que je peux me permettre à l’heure actuelle. Par contre, en parlant des radins ou autres personnes qui en « profiteraient », je ne l’ai pour l’instant pas remarqué. Mais surtout, je n’aime pas pénaliser une majorité pour une minorité de « profiteurs » avec lesquels je préfère m’expliquer directement.
Au sujet de la responsabilité du patient, c’est comme tout, cela a des bons et des mauvais côtés. Du côté positif cela les rend plus attentif à ce qui leur arrive et les responsabilise vis à vis de leur santé comme tu le dis si bien. D’un autre, pour ceux qui sont de bonne foi, cela peut être très frustrant et provoquer justement un désintérêt complet puisque de toute façon « rien ne fonctionne ». Tout dépend si le patient tombe sur un praticien qui va pouvoir le rediriger vers une autre solution plus adaptée ou non. En espérant que ça s’améliore avec le temps…
Concernant le parallèle satisfaction du patient // honoraires, et par extension restauration de mobilité vs douleur, je dirais que s’il est vrai que la définition de l’ostéopathie est la restauration de mobilité, le motif de consultation est toujours motivé par la douleur et en tant que patient, ce qui m’importe est la disparition de la douleur avant tout. Si cela se fait par médicaments, restauration de mobilité ou acuponcture, cela reste un choix du patient (suivant ses moyens, connaissances, sa réflexion, …). Alors il est vrai que j’ai tendance à me focaliser plus sur la diminution de la douleur lors de la première consultation car c’est ce qui est généralement le plus urgent de la part du patient. Les fois suivantes, lorsque la douleur est supportable, je pourrai me concentrer sereinement sur les restrictions de mobilité et faire un travail sur le long terme et l’homéostasie. L’idéal étant bien entendu de trouver un moyen pour, à la fois diminuer la douleur et restaurer de la mobilité. Mais comme tu le dis si bien, il ne faut absolument pas négliger la prévention mais c’est un bien long débat 🙂 Merci pour ton retour et avis en tout cas, je vais probablement encore y réfléchir 😉 !
Laisser un commentaire