Reprise d’études et réorientation professionnelle
Si tout le monde a entendu parler de réorientation professionnelle, rare sont ceux qui ont franchi le pas. Pourtant, c’est une expérience hors du commun, mais comme toute expérience, elle a ses hauts et ses bas. Ce qui suit est un regard sur une expérience personnelle de reprise d’études, elle traduit donc mes réflexions à ce sujet et rien de plus. Prenez donc ce qui suit avec un grain de sel 😉
Le principal coup dur lors de ce changement est selon moi: passer du statut d’expert à débutant. Si vous aviez l’habitude d’être écouté par vos clients et de débattre avec vos collègues sur un pied d’égalité, vous passerez de nouveau au statut de novice, qui par définition ne sait pas – même lorsque vous avez raison, vous avez tort. Il existe un réel clivage entre le statut étudiant et professionnel. C’est amusant car un bon professionnel reste un étudiant toute sa vie alors qu’il ne devrait pas y avoir une telle différence. Et pourtant !
Dans la continuité de ce changement de statut de « pro » à « novice », il faut un certain temps pour revenir au même degré de reconnaissance professionnelle. C’est un chemin long et difficile. Si vous vous comparez à vos « anciens » collègues, vous aurez l’impression d’avoir perdu, d’être reparti de loin et surtout de perdre du temps. Ce sentiment sera d’autant plus fort que la nouvelle branche professionnelle est différente de la première. Mais ce n’est heureusement qu’une fausse impression. Le jeu en vaut la chandelle et quand vous aurez terminé ce changement, le sentiment d’accomplissement en vaudra toutes les difficultés.
Au niveau apprentissage, la perte de repères et la mise en place de nouveaux schémas de fonctionnement est assez déconcertante au début. Car s’il y a bien une chose qui demande plus d’effort que le reste, c’est le changement de notre routine mentale. Dans un sens, reprendre des études reste plus facile que les études initiales car le premier bagage d’apprentissage aide dans le discernement des choses importantes et donne une solide base de motivation. L’expérience passée est aussi un réel atout personnel. « J’ai déjà accompli tout ça, je vais bien réussir cette nouvelle épreuve ».
À cause du changement de statut, vos revenus changent aussi. Vous repassez d’un salaire de professionnel à un salaire d’étudiant. Mais ce n’est généralement pas le centre du débat car soit c’est vos revenus qui vous poussent à changer de profession (perte de travail, revenus insuffisants, …) soit vous y réfléchissez depuis un moment et vous avez prévu le coup.
Mais j’aimerais surtout revenir sur tout ce qu’on peut remarquer lors de cette expérience et qui dépasse le simple cadre de la reconversion.
Une première chose qu’on remarque – que j’ai mentionné vers le début de l’article – c’est l’effet de groupe professionnel. Il y a toujours une sorte de rite de passage (diplôme, concours, …) et plus celui-ci est difficile, plus l’effet de groupe est fort, même s’il n’a aucune justification objective. Cela se retrouve dans les expériences de Aranson et Mills (1959) sur l’effet de la sévérité de l’initiation sur l’appréciation d’un groupe. Plus la personne a subi des épreuves difficiles ou dégradantes, plus celle-ci donnera de la valeur à ce qu’elle a acquis. Je pense qu’un autre facteur créant ce sentiment d’appartenance professionnelle vient du fait qu’après avoir fini ses études, la majorité des personnes – moi y compris – ont eu envie de souffler un peu et d’être tranquille sans avoir besoin de faire leurs preuves chaque semaine. C’est pourtant quelque chose que l’on s’inflige les uns aux autres en permanence. C’est omniprésent pendant toute l’éducation scolaire et variable dans le milieu professionnel. Cela donne un grand clivage entre les professionnels et les débutants, même si de façon objective, il y a rarement une séparation nette entre le statut « doit apprendre plus » et « en sait suffisamment ». Tout le monde sait qu’on n’en sait jamais assez !
Le problème de cette situation est que le novice a souvent un statut d’ignorant même s’il a un certain savoir de par son expérience, il est de facto traité comme un ignorant. C’est un sentiment très frustrant lorsqu’on sait que l’on a raison mais que la situation d’autorité entre professeur et étudiant nous incite à ne pas insister. Tout dépend du contexte d’apprentissage bien entendu, mais il me semble qu’une différence d’autorité (type académie) entre professeur et élève est néfaste pour l’apprentissage. Il s’ensuit logiquement que la notation de l’élève par un professeur maintient cette autorité et qu’elle est contre-productive pour l’apprentissage.
Une autre observation, facilement remarquée d’ailleurs car elle est si courante lorsqu’on termine des études: l’absurdité des examens écrits théoriques. Avec tous les gens qui ont terminés leurs études dans mon entourage et dont j’ai pu échanger à ce sujet sont d’accord. Les examens à un instant donné prouvent peu de choses sur le long terme car les connaissances s’oublient rapidement s’il n’y a pas de répétition. Chaque professionnel ne va finalement garder que ce qui lui sert quotidiennement et ira se renseigner lorsqu’il en aura besoin. Un professeur qui passe du temps avec ses élèves est bien plus à même de connaître leurs niveaux et les élèves entre eux également. Vous saviez bien à quel élève il fallait aller demander lorsque le professeur n’était pas disponible. Pour ceux qui mettent en avant que le stress des examens est formateur, je dirais qu’il en laisse bien plus sur le bas côté qu’il n’en aide. Et puis, la situation de stress d’examen est finalement rarement à l’ordre du jour en milieu professionnel. Si je devais en retirer une chose, c’est qu’il ne sert à rien de se forcer à apprendre, le cerveau le fait très bien si on lui en laisse la possibilité !
Revenir sur les bancs de l’école après un certain temps reste difficile. Écouter un professeur pendant des heures durant apporte peu. Si la quantité d’information donnée par le professeur peut-être grande, peu est retenu par l’élève. La seule véritable méthode d’apprentissage sur le long terme reste sa propre expérimentation et la mise en pratique. La formation par la pratique donne de bien meilleurs résultats à mon sens et lorsque la théorie sera nécessaire, l’élève sera bien obligé de la comprendre pour progresser. C’est là où je trouve la pédagogie de 42 est très efficace.
Lorsqu’on parle de carrière professionnelle, il existe deux stratégies: la spécialisation ou la diversification. La spécialisation demande une passion quasiment obsessive pour pouvoir espérer être dans les meilleurs spécialistes mondiaux d’un sujet précis. Mais elle assure une position d’expert incontesté et une renommée mondiale. À l’inverse, il existe la voie de diversification permettant de regrouper des compétences très différentes chez un même individu. La reconversion donne un profil de diversification parfois difficile à rassembler mais permet d’avoir une approche avec plusieurs points de vue. Dans l’idéal, un individu polyvalent et spécialisé serait très demandé mais une vie humaine n’est pas suffisante.
Un autre point crucial concerne ses propres compétences sociales. Quel que soit le domaine d’activités, ses compétences sociales, d’interaction avec les autres, la capacité à échanger, etc. sont capitales pour une réussite professionnelle. Les connaissances et savoirs-faire appris dans le cadre de la formation arrivent en second sur la liste, au lieu d’arriver en premier.
Pour finir, une dernière observation amusante qui ressort est la fameuse question du « bon » et du « mauvais » professionnel. Je dirais que la meilleure approximation de la répartition des professionnels se fait suivant une courbe de Gauss: il y a peu de « bon » et de « mauvais » et beaucoup de « moyens ». C’est purement statistique et c’est effectivement le cas, n’y voyez aucun sens péjoratif. Quand vous choisissez un professionnel au hasard, vous avez donc une probabilité de tomber sur un professionnel « moyen » qui correspondra à vos attentes. Mais si vous tombez sur un « mauvais » professionnel, un profil polyvalent pourrait vous donner une culture générale vous permettant de vous en rendre compte. Savoir comment fonctionnent différents milieux professionnels permet d’être plus prudent et de moins s’en remettre aveuglément par manque d’informations.
La réorientation professionnelle confronte à beaucoup de curiosité: « Pourquoi une réorientation ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi dans cette voie ? ». Et à pas mal de réflexions personnelles sur la façon de se définir. Souvent le métier et l’identité sont intimement liés: « Je suis commercial. » « C’est un charpentier. »
Mais lors d’une réorientation, la définition n’est plus aussi simple, surtout lorsque les deux professions (ou plus) sont éloignées. Ce qui est sûr, c’est que le Curriculum Vitae devient un casse tête à présenter !
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