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Le Rituel de l’Examen Clinique

J’aimerais partager avec vous le message du Dr. Abraham Verghese. Le contenu provient d’une vidéo en anglais sur le site de KhanAcademy et se trouve sous licence CC BY-NC-SA 3.0. Je l’ai donc retranscrit et traduit pour vous ci-dessous. Enjoy 😉

D’un point de vue anthropologique, les rituels sont des points de transformation. Ils indiquent un changement: nous nous faisons baptiser pour marquer notre appartenance religieuse, nous passons le baccalauréat pour marquer le début de l’âge adulte, nous nous marions pour indiquer la transition entre une vie de solitude à une vie d’allégresse continuelle. Or, l’acte que fait une personne de venir raconter à une autre personne des informations intimes, puis de se déshabiller et de permettre de se faire toucher – cela indique un rituel d’une importance capitale.

Dans notre monde médicalisé, nous avons perdu cette notion. Nous ne voyons cela que comme un examen permettant l’acquisition de données. Cela peut fonctionner pour le soignant, le thérapeute mais je pense que cela ne fonctionne pas pour le patient. Et je pense qu’une des causes de « rupture » entre le thérapeute et le patient vient de cette incapacité pour le thérapeute de se mettre à la place du patient et de voir cela comme un rituel où le patient est fortement investi. Lorsque le thérapeute arrive et pose son stéthoscope par dessus le T-shirt ou ne prend pas le temps d’examiner correctement son patient, il passe à côté de ce rituel et d’un contact crucial.

Voyons les différents points qui permettent de bien définir ce rituel:

  • Espace spécialisé: salle de cérémonie recouverte d’outils spécialisés, d’un lit spécialisé, d’une odeur de produit antiseptique, dans une pièce souvent très blanche (sol, murs, lampes)
  • Le thérapeute est habillé d’un costume de cérémonie, en l’occurrence de la blouse blanche
  • Le patient est également dans un costume de cérémonie: en sous-vêtements  [Même si cette étape devrait probablement être revue pour éviter de mettre le patient dans une telle position d’infériorité par rapport au praticien] et recouvert parfois d’une blouse de patient.
  • Le thérapeute commence ensuite un examen clinique systématique qui reste quelque peu mystérieux pour le patient. Par exemple quand le thérapeute demande au patient de respirer, de toucher son nez et le doigt du thérapeute rapidement, … Bref, tout cela ajoute à l’effet de rituel
  • Le thérapeute utilise des termes à consonance latine ou spécialisée, pour certains patients cela peut sembler comme une langue différente, telles des arcanes.
  • Le patient, quel que soit son rôle social (policier, professeur, chef d’entreprise) le perd pendant la durée de la consultation pour être dans un rôle de patient.

Après que le patient ait exprimé sa plainte, le thérapeute pourrait demander une trentaine d’examens pour diagnostiquer de façon large. Mais un examen clinique, où le thérapeute vient doucement examiner la zone de la plainte permet au patient une confirmation de sa douleur, de son soma (corps). Dans la continuité, les tests permettent ensuite de confirmer ce qui a été obtenu par l’examen clinique du corps du patient.

Il m’arrive d’avoir l’impression – d’un point de vue de thérapeute – que le patient qui est dans le lit ou sur la table, n’est qu’une représentation du dossier du patient qui se trouve dans l’ordinateur. En quelque sorte, le patient physique ne sert que d’intermédiaire pour remplir les informations du dossier du patient virtuel, une sorte de iPatient. Et ce iPatient reçoit beaucoup de soins mais le patient réel lui, a besoin de sentir cette attention sur son soma.

L’examen clinique permet de valider la transformation suivante:
Le thérapeute écoute l’histoire du patient et tente de la localiser sur le soma (corps) du patient. La confirmation de cette transformation est l’échange entre thérapeute et patient.

Mais à cause ou grâce aux technologies d’imagerie et d’examens de toute sorte ultra-sophistiqués, nous faisons un examen clinique bâclé ou que nous trouvons incertain ou peu fiable. Alors qu’il devrait justement être au top car il peut facilement être associé à des examens à feedback en temps réel (électrocardiogramme, angiogrammes, …).

L’excuse du « manque de temps » pour l’examen clinique ne tient pas, car en effectuant cet examen clinique correctement, cela peut permettre d’exclure de nombreux diagnostics et de cibler juste ce qu’il faut. L’attitude inverse serait de se dire « Je ne sais pas trop ce qui se passe, je vais demander tous les examens et voir si un résultat sera positif ». Donc un examen clinique permet de mieux accomplir ce rituel et de poser de meilleures questions et donc d’effectuer de meilleurs examens concernant la plainte du patient et lui éviter ainsi des expositions à des radiations.

Enfin, en faisant de multiples examens d’imagerie non-ciblés, il arrive souvent que d’autres signes apparaissent alors qu’ils n’ont rien à voir avec la plainte et dont le thérapeute ne sait que faire ou qu’il tente d’intégrer avec la plainte alors que ça n’a rien à voir.

L’examen clinique peut souvent être un motif de vocation pour le métier de thérapeute mais cela ne doit pas se perdre au cours de la formation. Il reste encore beaucoup à apprendre du point de vue anthropologique et de l’importance des rituels. La médecine n’est pas que science, elle est science, rituels, émotions. C’est un art et une science.

Je vous laisse méditer sur ces quelques mots empreints de sagesse …

Source(s): http://www.khanacademy.org/science/healthcare-and-medicine/v/ritual-of-the-bedside-exam